Chapitre 39
L’homme-loup
Matthieu fouilla l’église et trouva les affaires d’Alexanne devant la niche de la Vierge. Il les ramassa nerveusement en pensant qu’elle ne pouvait pas être très loin. Il s’empressa de rejoindre son père sur le trottoir et grimpa en même temps que lui dans la camionnette.
— Il faut qu’on retrouve Alexanne, s’angoissa Paul Richard. Ces hommes vont tirer sur tout ce qui bouge.
Le cahier d’anges s’illumina sur les genoux de Matthieu, qui poussa un cri d’effroi en le laissant tomber à ses pieds.
— Mais qu’est-ce que c’est que ça ? s’étonna le père.
Le cahier s’éteignit et Matthieu le ramassa prudemment pour le remettre à son père. La couverture décorée de chérubins s’ouvrit d’elle-même et les pages se mirent à tourner pour finalement s’arrêter sur le dessin d’un quai au bord de l’eau.
— C’est le quai du père Collin ! s’exclamèrent en même temps le père et le fils.
Même s’il ne comprenait pas comment un simple cahier pouvait s’animer, Paul le remit à Matthieu et appuya sur l’accélérateur. Il leur fallait trouver Alexanne avant les chasseurs.
En faisant de gros efforts pour conserver son calme, Alexanne suivit de son mieux le sentier dans le noir. La lune éclairait la surface du lac et lui permit de retrouver le quai où la chaloupe était toujours amarrée. Elle s’arrêta, espérant qu’il y aurait une nouvelle image dans son esprit, et entendit, malgré les aboiements et les cris des chasseurs qui se rapprochaient, les gémissements d’un animal blessé.
— Alexei, où es-tu ? l’appela-t-elle en pleurant.
Elle vit alors deux yeux brillants sous le quai.
— Alexei, est-ce que c’est toi ? demanda-t-elle en s’approchant lentement.
Ses yeux s’habituant à l’obscurité, elle distingua le corps haletant du loup, à moitié dans le sable et à moitié dans l’eau, sous les planches. Il était blessé et effrayé.
— Mais comment vais-je faire pour te ramener chez nous ?
Les chasseurs et leurs chiens sortirent de la forêt. Bien décidée à protéger son oncle contre tout l’univers, Alexanne se retourna pour leur faire face. Les hommes braquèrent aussitôt les faisceaux de leurs lampes de poche sur elle.
— C’est l’a fille de l’église, l’identifia l’un d’eux.
Alexanne cligna des yeux, mais ne broncha pas. Elle pria silencieusement le ciel que le loup cesse de gémir. Les chasseurs levèrent leurs fusils, et l’adolescente sentit son sang se glacer dans ses veines.
— Arrêtez ! cria-t-elle.
Derrière les traqueurs, une camionnette venait de mettre les freins en klaxonnant furieusement. Les Richard descendirent en hâte du véhicule, et Matthieu courut se poster aux côtés d’Alexanne en glissant ses doigts entre les siens.
— Merci…, murmura-t-elle, soulagée.
Paul alla se placer devant les chasseurs et abaissa certains des canons.
— Paul, mais qu’est-ce qui te prend ? s’exclama l’un des hommes. Il y a une bête enragée sous le quai !
— Vous faites tous erreur. Rentrez chez vous et laissez-moi aider ce pauvre type.
— Ce n’est pas un homme, c’est un loup !
Paul arracha une lampe de poche de la main de l’un de ses amis et poursuivit sa route jusqu’au quai. Alexanne et Matthieu se penchèrent en même temps que lui sur le sable humide, tandis que Paul dirigeait le faisceau lumineux sous le quai. Tous purent distinguer le visage ensanglanté d’Alexei Kalinovsky. Nu comme un ver, il tremblait de tous ses membres et avait de la difficulté à respirer.
— Je suis un ami de Tatiana, dit Paul au blessé. Je vais vous ramener chez elle.
Alexei montra les dents, alors Alexanne sut que c’était à elle de jouer. Elle lui tendit lentement la main, et malgré la souffrance que lui imposa ce geste, l’homme-loup étira ses doigts couverts de sang vers les siens.
— Tu peux lui faire confiance, Alexei.
— Matthieu, va chercher la couverture dans la camionnette et ouvre le coffre, ordonna son père.
Le jeune homme tourna les talons et courut jusqu’au véhicule en passant à travers les chasseurs.
— C’est bien un homme qui se trouve sous le quai ? voulut savoir l’un d’eux.
— Oui, ç’en est un, affirma Matthieu en ouvrant les portes de la camionnette.
Il apporta la couverture à son père, qui avait réussi à traîner Alexei sur le sable. Paul l’enveloppa, le souleva et le transporta jusqu’à son véhicule sous les regards étonnés des chasseurs. Il le déposa dans le coffre en posant sa tête sur les genoux d’Alexanne, puis alla s’installer au volant. Combattant sa peur des loups, Matthieu s’était installé près d’Alexanne.
Lorsqu’ils arrivèrent à la maison de la guérisseuse, Tatiana les attendait. Grâce à ses pouvoirs de fée, elle avait suivi toute l’action de loin. Paul transporta le blessé dans l’une des chambres et resta pour aider la guérisseuse à prodiguer des soins à son frère.